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Indignation et colère

C'est en tant que directeur d'un Centre Dramatique National que je me sens solidaire sans réserve des grèves et du mouvement qui défend le régime des intermittents.

Olivier PY (transmis par le CNT)
En premier lieu doutons de la nécessité et de l'urgence d'une révision. Si elle a été souhaitée par les professionnels de la culture eux-mêmes, c'est pour différencier les secteurs qui bénéficient du régime et affirmer clairement que ces indemnités uniques dans leurs modes sont une aide indirecte à la vie culturelle. Il est donc indécent de voir des employeurs comme les sociétés de productions audiovisuelles arrondir leurs budgets et obliger leurs employés à une précarité qu'elles pourraient éviter. L'utilisation de cette indemnisation n'a tout de même pas le même sens quand elle agrandit les recettes d'un jeu télévisé et quand elle permet de faire jouer Molière.

Ce sont pourtant et principalement les hommes et femmes du spectacle et du cinéma qui sont taxés d'être des privilégiés et des profiteurs, et quelques fois par le milieu lui-même, (alors que la majorité d'entre eux vit plutôt mal que bien de ce régime). Quand on ne cherche pas à les culpabiliser avec la situation d'encore plus précaires, les saisonniers par exemple, mais pourquoi pas les " RMIstes "?
Les accuser de préférer toucher leurs indemnités plutôt que d'exercer leurs arts et métiers est tout aussi abject que d'accuser les familles pauvres de faire des enfants pour toucher les allocations. La bassesse de ces arguments ne mérite pas de réponses, elle vient souvent d'ailleurs des plus profiteurs, des plus solides, des tricheurs les plus organisés à savoir des employeurs eux-mêmes, privés et publics, qui jouent les pères la vertu.
Mais parlons effectivement de ces grandes entreprises souvent ouvertement marchandes et sans aucun lien avec l'art et la culture (à moins que Disney soit la seule culture qu'on veuille nous laisser) qui proposent des contrats intermittents alors même que leurs budgets, quand ce n'est pas leurs subventions, leur permettraient d'assurer une permanence de l'emploi.
La réforme telle qu'elle est souhaitée n'empêchera pas leur abus du système (les entreprises qui font passer leurs permanents pour des intermittents en ne les déclarant que sur des périodes tronquées et en laissant les Assedic compléter leurs revenus, n'ont avec cette " réforme " aucune nouvelle entrave. Il suffit d'adapter le mode de calcul. Quant aux intermittents qui travaillent beaucoup, ils n'auront qu'à fusionner leurs cachets pour obtenir plus de jours indemnisés à un meilleur taux. En somme les fraudeurs resteront fraudeurs), c'est le secteur du spectacle vivant et du cinéma, le plus probe et le plus fragile qui sera touché de plein fouet. Les télévisions n'auront qu'à faire entrer dans leur production la nouvelle donne économique, et recalculer leur bénéfice en fonction des pertes, mais le théâtre, le cinéma, la musique et la danse perdront ce qui leur permettait de survivre, une main-d'¦uvre extrêmement compétente et mobile à la fois, nécessaire aux fluctuations d'activités très grandes de nos professions.
Ce ne sont pas les institutions qui seront frontalement dégradées mais ce pourquoi elles sont ; l'art lui-même condamné à un amateurisme sans issue.

Encore une fois ne prenons pas comme un axiome que ce régime soit condamnable, il assure une mobilité qui est un exemple rare d'économie à géométrie variable, il met d'accord employeurs et employés, enfin il assume une aide indirecte que le Ministère de la Culture ne veut pas prendre en charge. N'oublions pas que la politique culturelle a fait le choix de l'intermittence, le choix de ne pas créer des maisons qui puissent mensualiser des permanents comme c'est le cas en Allemagne. La décentralisation et le théâtre public ont choisi cette précarité pour assurer un renouvellement artistique et une souplesse aux formes nouvelles. Voilà pourquoi nous ne pouvons pas admettre que le Ministère de la Culture se pose en témoin ou en arbitre d'une négociation où il est juge et partie, il doit, quelles que soient ses solidarités avec le gouvernement, refuser que l'exception culturelle soit rognée, veiller à la sanctuarisation de ses acquis, affirmer qu'il ne les confond en rien avec des privilèges, désigner les abus et dérives dans les rangs des employeurs (est-ce qu'il est si difficile que le Ministère assume d'être une véritable autorité de régulation) et le cas échéant remettre sa lettre de démission. Ne s'agit-il pas de sauver l'honneur de cinquante ans de politique culturelle ? Ou bien il lui faut accepter qu'il n'est qu'un jouet démagogique dans un système marchand qui a pris la place de la République.

La plus grande perversité du Ministère de la Culture est de prétendre défendre ce régime, mais le défendre contre qui sinon contre les diktats de Bercy ? Car n'en doutons pas, les économies ridicules de cette révision (sur les 24 millions d'emplois en France, moins de 90 000 personnes déséquilibreraient tout un régime ?) cachent une stratégie politique, une avancée symbolique pour abîmer la nécessité d'une politique culturelle.
Oui, cette révision entre dans un plan de plus en plus affirmé d'abandonner le spectacle vivant et le cinéma d'auteur ou tout au moins de ne plus les protéger des enjeux mercantiles.
Présenté comme un compromis bienveillant, comme une avancée nécessaire, masqué sous des complexités comptables, c'est en fait un premier grand coup peut-être irréparable, du cynisme dirigeant, contre la vie élémentaire de l'art et de la pensée.

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